dimanche 30 novembre 2008

Exprime-toi, bordel de Dieu


Regarde en haut à gauche. Héhé, surprise... même si ça ne changera pas le sens de rotation de la Terre.

vendredi 28 novembre 2008

Catherine Feeny - Empty Buildings EP


On ne le dira jamais assez : mieux vaut un EP moyen qu’un mauvais album. Surtout quand on hésite sur la direction à prendre. C’est ce qu’a dû se dire Catherine Feeny, après un excellent premier album éponyme et une suite totalement décevante. En effet, sur Hurricane Glass, la belle avait délaissé le folk doux et mélancolique des débuts pour une country pop FM du plus mauvais goût, à la mode « Mon Shérif a des chouettes bottes ». Preuve de ce revirement malheureux, Marc Ysaye n’hésite pas à programmer ce deuxième album en boucle sur Classic 21, aux heures où les vachers du XXIe siècle restent scotchés au transistor en astiquant leur bécane.

« Catherine, c’est Feeny. Et dire que c’était la ville de mon premier amour », aurais-je pu chanter si j’avais été totalement certain que le ridicule ne tue pas, affirmation dont je doute de plus en plus depuis le décès de Charlton Heston.

Dilemme pour le troisième album : revenir à la spontanéité des débuts ou s’acharner sur le marché des chemises de bucheron et des Stetson, terrain déjà bien occupé par Sheryl Crow ?

Catherine botte en touche et sort le joker : un EP de cinq titres.

L’avantage de l’EP, c’est qu’il s’apparente à une parenthèse dans une carrière, un petit break qui permet de faire le point avant de se relancer. Plus libre et commercialement moins contraignant, ce format ouvre la porte à quelques dérapages (très) contrôlés, histoire de prendre son propre pouls avant d’opter définitivement pour le camp des cowboys (Sheryl Crow, Dawn Landes, etc.) ou celui des Indiens (Alela Diane, Mariee Sioux, etc.)

Ah si les choses étaient si simples. Sur cet EP, Catherine Feeny sort le grand jeu sur au moins deux morceaux : Empty Buildings et Santa Ana Wind lorgnent gentiment du côté de Suzanne Vega, dont elle assura par ailleurs la première partie à l’AB il y a quelques années. C’est clairement avec ce genre de ballades feutrées à peine arrangées que Catherine m’avait séduit un jour, il y a longtemps.

Chassez la veste à franges et les santiags et elles reviennent malheureusement au galop sur The Mighty Whale & Abraham (qui fait quand même l’économie du lapsteel, mais n’évite pas le piège du refrain siffloté) et, surtout, sur l’imbitable Junk Queen, en duo avec le chanteur country Brian Wright, qui pue le saloon et le crottin de cheval à plein nez.

A mi-parcours, on épinglera Sugar, petite berceuse hivernale, plus douce que vraiment amère. C'est pas mal, mais dans le genre, Stina Nordenstam fait tellement mieux. D'ailleurs, elle devient quoi, Stina ?

Verdict : si on aime autant les EP, c’est justement parce qu’on y trouve tout et son contraire. Si le but était de tester le terrain avant le prochain album (If I am the Bell, You are the Anchor, prévu pour début 2009), je recommande vivement à la petite Catherine d’emprunter les métros New Yorkais plutôt que de traverser les plaines du Far West dans sa diligence. Je n’y crois pas beaucoup mais qui sait ?

Quant au folk apache, ce sera « va voir ailleurs si j’y suis ». Chez Headless Heroes, par exemple.

Les liens

Le site officiel : www.catherinefeeny.com

Sur MySpace: www.myspace.com/catherinefeeny

jeudi 20 novembre 2008

Red Snapper - Pale Blue Dot


Drôle de parcours que celui de Red Snapper. Ex-meilleur espoir d’une scène britannique qui cherchait le chaînon manquant entre The Herbaliser et Roni Size, le groupe londonien n’a cessé de se métamorphoser, passant du jazz à la drum’n’bass, de la soul au hip hop, avant de se dissoudre en 2002. Au passage, plusieurs DJ, MC et chanteuses ont profité d’un album ou d’un EP pour prendre le train en marche, avant de se faire débarquer à l’arrêt suivant.

Début 2007, après une série de concerts plébiscités outre-Manche, le groupe décida de reprendre le chemin des studios, se concentrant dans un premier temps autour de la formation initiale : le batteur Richard Thair, le guitariste David Ayers et le contrebassiste Ali Friend. Au passage, ils s’adjugèrent les services du saxophoniste Tom Challenger. What’s in a name…

Le résultat vient de sortir dans les bacs : Pale Blue Dot, un album court et nerveux (6 titres + 2 remixes pour l’édition limitée), 100 % instrumental et enregistré en conditions « live ». Ça donne un disque brut et sans artifice qui met en valeur l’essence-même du son de Red Snapper. Dépouillé, débarrassé des effets bling bling, il n’en reste que la colonne vertébrale, mais quelle colonne ! Pas l’ombre d’une scoliose, pas de trace d’une éventuelle hernie discale, pas une vertèbre qui dépasse. Du « fuckoffjazz », comme le décrivent les principaux intéressés, qui tourne principalement autour des dialogues contrebasse-guitare et vire par moments vers le rock progressif de King Crimson (Wanga Doll). On est loin, mais alors là très loin, de l’étiquette trip hop qui aurait pu leur coller aux basques aux débuts.

D’où la question qui tue : à qui s’adresse ce disque ? Franchement, pas facile à dire. Une chose est certaine : celles et ceux qui, à une époque, ont écouté Red Snapper entre Hooverphonic et Neneh Cherry vont dégueuler. Mais logiquement, ceux-là devraient avoir déjà quitté le navire avec le très excentrique Our Aim Is To Satisfy Red Snapper, sorti en 2002 et au titre qui en disait déjà long sur les intentions de la bande.

Par contre, les oreilles un peu plus exigeantes, plus patientes aussi, se plairont à retracer le fil de cette discographie chahutée et à reconnaître dans ce Pale Blue Dot la suite cohérente et inéluctable de tout ce qui a précédé. On peut donc sans trop se mouiller prédire un succès qui va se limiter à quelques « initiés », dans la discrétion du cercle familial.

En ce qui me concerne, j’adhère à 100% à cette démarche que je salue d’un respect infini. Que ceux qui y perdent leurs petits ne se dispensent pas de l’écoute hautement recommandée des vieilles perles que sont Prince Blimey et Making Bones.

A regarder : Clam (extrait de Pale Blue Dot - 2008)



A regarder : Some Kind Of Kink (extrait de Our Aim Is To Satisfy Red Snapper - 2001)



A regarder : Image Of You (extrait de Making Bones - 1998)



Les liens

http://www.myspace.com/redsnapperofficial

http://www.lorecordings.com/




lundi 17 novembre 2008

On en perd son Latin


Heureusement qu’ils sont là! Mais qui ça ? Les nouveaux beaufs, pardi ! On peut toujours compter sur eux pour nous dérider, même en période de marasme généralisé. Avec sa coupe d’Iroquois, son diamant à l’oreille, son froc blanc à paillettes, son sourcil balafré et sa grammaire si innovante, le nouveau beauf incarne le bouffon post-moderne, le boute-en-train façon Starac et Cauet.

Un nouvel exemple de ce mouvement des nouveaux beaufs nous est offert cette semaine sur un plateau d’argent par Jonathan Legear, l’un des espoirs du football belge. Malgré sa lumineuse crinière blonde, Jonathan craignait peut-être de passer inaperçu sur la pelouse. Il décida alors de suivre l’exemple de ses compagnons de vestiaire et se fit poser un bien joli tatouage sur le bras, pour que tout le monde le voie bien. Pour montrer qu’il est un dur de dur, Jonathan a opté pour la célèbre formule de César qui s’exclama jadis : « Veni Vidi Vici. » (Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu)

Jusque là, rien d’exceptionnel, si ce n’est que notre footballeur littéraire a oublié de consulter le manuel de latin qu’il n’avait jamais lu quand il s’ennuyait sur les bancs de l’école et s’est fait inscrire sur le bras :

Vini Vidi Vici.

Une traduction libre donnerait à peu de choses près : « J’ai vu des vins et j’ai vaincu ». Voilà qui fera un peu moins trembler l’adversaire gaulois.

Interpellé à ce sujet par un journaliste sportif pas tout à fait analphabète, l’intéressé s’est contenté de répondre : « Je le trouve joli quand même. »

Je me demande si dans 2000 ans, les futurs beaufs se baladeront avec « Je suis viendu, j’ai vu, j’ai vaincu » en lettres gothiques sur le front. Et je me demande s'ils trouveront ça joli.

vendredi 14 novembre 2008

Se faire chier²

Quand je me fais vraiment chier, au point d’avoir mal aux méninges à force de devoir imaginer mille subterfuges pour faire semblant d’être occupé, je sors l’artillerie lourde : entrer les mots-clés qui tuent dans les moteurs de recherche… et laisser l’imagination faire le reste.

Pour obtenir les résultats les plus surprenants, pas besoin d’aller chercher dans la dernière édition du Robert. Laissons au moteur de recherche le soin de nous sortir ses plus belles trouvailles.

Expérience n°1 : taper « image » dans Google Images

On peut toujours compter sur Google Images pour livrer sur un plateau d’argent l’image qu’on n’attendait pas.

Alors, question : qui peut me dire ce qu’est censé représenter cette superbe image ?
Le vainqueur aura droit à toute l’estime qui me reste à distribuer.



jeudi 13 novembre 2008

Oranges métalliques

Ou les mésaventures incroyables d’une locomotive philanthrope malgré ses nombreuses avaries

Les lundis noirs ne sont pas uniquement l’oeuvre des Bourses qui dévissent. Il y a aussi des lundis qui pour 99,99 % des gens paraissent tout à fait banals (eh oui, « banal » est une exception), mais qui pour moi s’apparentent à un véritable parcours du con battant.

Mon lundi noir a commencé à 8h30, sur le siège en skaï d’un wagon de la SNCB. Action spéciale pour la veille de l’armistice ? - la Dame de Fer avait prévu ce lundi un train pour les nostalgiques des tranchées de 14, vieux, rouillé, puant et surchauffé pour permettre aux microbes et autres virus de passer plus facilement d’une victime à l’autre. A côté de moi, un homo non sapiens poilu et édenté mâchouillait maladroitement une vieille tartine au brie de Meaux qui traînait dans son sac depuis une bonne semaine et empestait la gastro-entérite. Moi, je suais à chaudes gouttes dans mon manteau gris, sentant l’odeur de la transpiration chatouiller mes narines. Nous étions entassés comme des bovidés qui partent à l’abattoir.

Abattoir Blues chantait Nick Cave.


Arrivé à l’abattoir de verre, la journée se déroula comme toutes les journées depuis que les marchés dégueulent : le vide, le néant, la négation de l’Homme.

Réveil en sursaut lorsque mon ami S. m’appela pour tâter ma motivation à l’idée de passer la soirée à Jumet, au HE:LL METAL. Le Death Metal n’est pas a priori le style que je préfère, mais de nature curieuse et surtout au bord de l’oxydation cérébrale par manque de stimuli, je répondis positivement à cette invitation ma foi fort à point.

C’était évidemment sans compter sur le talent naturel de la SNCB. Parti à 18h de Bruxelles-Nord, j’aurais dû arriver à 18h45 à Nivelles. « Aurais dû » parce qu’à 19h, nous étions toujours quelque part du côté d’Uccle. Motif invoqué par un contrôleur en panne d’imagination : des feuilles mortes sur les rails nous empêchaient de rouler à notre vitesse habituelle. Sauf qu’entre-temps, nous nous faisions dépasser par d’autres trains qui ne semblaient pas souffrir de ce problème.

19h15 : nouvelle annonce. « Chers passagers, j’ai une mauvaise nouvelle : nous allons devoir rentrer à Bruxelles suite à une avarie à la locomotive. » Dieu que je déteste ces « avaries à la locomotive », prétextes à tous les retards et abus.

- Qu’avez-vous à ajouter pour votre défense, accusé ?

- C’est pas ma faute, M’sieur le juge. C’est la faute à l’avarie à la locomotive.

- J'ordonne à la maréchaussée de libérer cet homme immédiatement.

19h30 : nous arrivâmes enfin en gare de Bruxelles-Midi. Arrière-goût amer en bouche : une heure et demi pour faire la jonction Nord – Midi, j’aurais été plus vite à pied !

20h : j’arrivai enfin à Nivelles. Merci la SNCB, j’avais déjà loupé la moitié des groupes à l’affiche ce soir, à cause d’une nouvelle « avarie à la locomotive ». Saletés d’avaries…

Juste le temps d’avaler un bout de pain rassis (c’est la crise, mes amis) et de troquer le costard cravate pour un vieux jeans et chemise en treillis et nous prîmes la route pour Jumet dont j’appris qu’elle est la plus grande commune de Belgique.

Dans la voiture, on se chauffait comme on pouvait en écoutant Anthrax et Napalm Death. Pas vraiment du death metal, mais c’est tout ce qu’on avait pu trouver de plus ou moins ressemblant.

Arrivés sur place, S. fut bien inspiré en me conseillant de virer les sacs et les CD dans le coffre, à l’abri des regards indiscrets. « Tu sais, Jumet c’est assez chaud quand même… » S. fuma rapidement sa clope pendant que des hordes de chevelus de noir vêtus rangeaient nerveusement du matériel dans le coffres de leurs automobiles.

Il nous restait à voir des artistes aux noms aussi prometteurs qu’Innerfire et Hate. Pourquoi pas, après tout ? Au moment de rentrer dans ce temple d’un soir du décibel gras et aiguisé, nous nous fîmes alpaguer par un portier visiblement surpris de notre présence. Hola shérif, sont-ce les couleurs trop vives de nos bures qui heurtent l’œil de l’indigène peu souriant ? « Désolé les gars, la soirée est annulée. C’est parti en couilles, un mec a sorti un flingue. Il y a quelques minutes, j’avais une arme sur la tempe. On a tout annulé et je vous conseille de rentrer chez vous. »

Nooooooooooooooooooooon. Mon festival de death metal !!!

Adieu Jumet. Adieu cow-boys. Huuuuuu, Jolly Jumper. Rentrons au campement.

Nous décidâmes donc de rentrer à Nivelles et de terminer la soirée bien sagement avec un dürüm et des bières spéciales. Pour le death metal, on repassera.

La Grimbergen au fût m’aida à passer une nuit relativement paisible, malgré l’énervement de m’être fait confisquer ma soirée par une bande d’écervelés nostalgiques des tueries du Brabant.

Puis finalement, en y repensant, je me rends compte que j’aurais pu vraiment mal tomber. Me retrouver nez-à-nez avec un tordu de la gâchette, ouvrir ma grande gueule « Allez Kid, lâche ton pistolet à eau, tu vas salir ton froc et ta mère va encore t’engueuler » et me faire plomber les genoux. Ou pire : me faire plomber la tronche. Et laisser une petite orpheline sur le trottoir.

Finalement, si mon train n’avait pas fait Bruxelles-Uccle-Bruxelles-Nivelles ce soir-là, j’aurais pu y rester. Finalement, c’est peut-être cette satanée « avarie à la locomotive » qui m’a sauvé la vie.

« Sauvé par une avarie à la locomotive. »

Ça aurait fait un super titre en première page de la DH si ça avait été un journal des bonnes nouvelles.

Merci la SNCB.

A regarder : la vidéo de Hate

Hate - Threnody


Les liens

Le HE:LL Metal (dont les organisateurs annoncent qu'ils jettent l'éponge) : www.hell-metal.net

Sur myspace: www.myspace.com/hellmetalpage

La SNCB : www.sncb.be

SMV - Thunder


Je vais jouer au vieil homme sérieux aujourd’hui. On disait que j’étais un peu plus âgé, la sagesse incarnée qui s’exprimerait à travers une barbe grisonnante et une paire de mules en poils de chameau. On disait que j’avais une chaîne Bose, payée par mon épargne pension, avec des enceintes trois voies disposées de chaque côté d’un fauteuil en vrai cuir (en VRAI cuir !), la raie sur le côté et une veste en tweed rapiécée au niveau des coudes. On disait que je toisais mon prochain perché sur un goitre d’autosatisfaction.

On disait que malgré mon âge certain et mes pattes d’oie d’homme mûr, j’avais conservé l’amour de ce merveilleux instrument qu’est la basse. Notamment, parce qu’un jour, alors que j’étais étudiant - souvenir en noir et blanc - un ami m’a parlé pendant de longues heures de Jaco Pastorius.

« Et Jaco ceci. Et Jaco cela. »


A l’époque, je n’étais pas encore vieux et sage, je vous le rappelle, je me moquais des bassistes comme des guerres franco-prussiennes. La bêtise typique de celui qui n’a atteint que les vingt printemps m’amenait à considérer les bassistes comme des guitaristes ratés obligés de supprimer deux cordes à leur arc pour éviter l’humiliation de la fausse note.

Pour le jeune moi, le bassiste n’était qu’un élément du décor musical, le copilote, la cinquième roue du carrosse, l’éternel deuxième, le Poulidor du rock, celui qu’on avait mis là parce qu’il n’y avait plus personne, l’Olivier Chastel de la Clé de Sol, le gardien remplaçant, le journaliste du 13h. Dans Hélène et les Garçons, Hélène se tapait le guitariste, pas le bassiste qui a d’ailleurs changé deux fois.


Et puis j’ai rencontré Jaco Pastorius et un autre monde s’est ouvert à moi. J’ai découvert des notes que je n’avais jamais entendues, un doigté (du calme, bande de cochons) que je ne connaissais pas. Pour être tout à fait honnête, je n’avais jamais entendu personne jouer de la basse avant Jaco.


Depuis, on m’a prêté une basse que j’ai rendue des étoiles plein les yeux. Ensuite j’ai acheté MA première basse que j’ai revendue un an plus tard pour m’offrir LA Fender Jazz Bass qui partage mon lit quand madame n’est pas là (du calme, bande de cochons, ce n’est qu’une façon de parler). Pas plus tard que ce week-end, j’ai même investi dans un nouvel ampli.

Aaaah la basse : tellement langoureuse, voluptueuse et sexy. Les notes sautillent et dansent dans l’oreille. On maltraite une gratte, mais on caresse une basse. Du bout des doigts. De la pulpe du doigt. Finalement, vous aviez raison, bande de cochons : la basse a vraiment une connotation sexuelle. La longueur du manche, la courbure du corps, l’épaisse rondeur des cordes, ces notes qui ronronnent quand glisse la main sur une touche de palissandre et qui giclent par saccades quand on joue en slap. Mmmmm…

Nom de Dieu : c’est carrément un instrument porno.(cool, ça va faire grimper le nombre de clics)

[silence du vieux sage qui reprend son souffle, s’éponge le front d’un mouchoir à carreaux et réajuste son pantalon de pyjama]

Hum…

Tout ça pour dire que… Pardon. Hum...


Je reprends. Tout ça pour dire que les trois dieux vivants de la basse jazz ont croisé leur instrument sur un même album. Trois générations de musiciens de légende : Stanley Clarke, Marcus Miller et Victor Wooten, ou SMV pour Stanley, Marcus et Victor. Trois approches qui ont révolutionné la pratique de la basse. Trois cv longs comme un réveillon passé aux urgences : des collaborations avec Chick Corea, Ali Di Meola, Miles Davis, Aretha Franklin, Prince, Wayne Shorter, AL Jarreau, Dave Matthews, Prince, etc.

Quand ces trois bêtes partagent un studio, ça donne un album de jazz forcément extrêmement élitiste, mais techniquement parfait. Ça sent l’onanisme à plein nez mais qu’est-ce que c’est bien foutu. Qui aurait soupçonné qu’un instrument à quatre cordes aurait pu enfanter de telles cascades ? En effet, l’art consiste chez ces virtuoses à faire sonner leur instrument comme tout… sauf une basse.

- Ben merde alors, elle peut faire ça aussi ma basse ?

- En théorie, mon petit. En théorie.

Evidemment, le petit musicien amateur qui s’écorche l’épiderme pour aligner trois notes correctes risque de revendre la belle et de se contenter de Guitar Hero en prenant la mesure du gouffre intersidéral qui le sépare des maîtres absolus. Courage les gars : Marcus Miller a mis cinq ans pour apprivoiser la technique de Jaco Pastorius et Stanley Clarke. Résultat : à 21 ans, c’était déjà le petit protégé de Miles Davis.

Qu’avons-nous fait de toutes ces années, mes enfants ? Mais qu’avons-nous fait ?

A regarder : SMV joue Thunder au Casino de Paris:



A regarder: Jaco Pastorius avec Weather Report au Festival de Montreux en 1976



Les liens

www.smvmusic.com

www.marcusmiller.com

www.stanleyclarke.com

www.victorwooten.com

www.jacopastorius.com

Le numéro d'octobre de Jazz Magazine consacrait son dossier au trio SMV et proposait une liste très intéressante des 20 meilleurs albums de basse jazz de tous les temps.

dimanche 9 novembre 2008

samedi 8 novembre 2008

Coup de crayon : leur petite entreprise...


La crise, vécue de l’intérieur, dans l’iris du cyclone, c’est à la fois déprimant et instructif, épuisant et jouissif, alarmant et porteur d’espoirs immenses, humiliant et salvateur. La crise, telle que je la vis, c’est plus d’un mois passé à attendre. « Seulement un mois ? Mais on a l’impression que ça dure depuis un semestre ! » Mais non : la vraie crise, la méchante, la vilaine, l’injuste, la cruelle, celle qui a bousillé mon boulot du jour au lendemain, m’a contaminé le premier du mois dernier. Ce jour-là, tout s’est arrêté. Et depuis, j’attends. Le téléphone ne sonne plus. La boîte aux lettres reste désespérément vide. Même les spams se font rares. C’est le néant absolu, la négation du capital humain pour parler en mots savants.

« Poil dans la main. Payé à rien foutre. »

Au début, je dormais mal. Je me réveillais la nuit pour aller vérifier sur le net si de nouvelles infos étaient tombées : un vrai plan de sauvetage, une poignée de milliards retrouvée dans un tiroir, une annonce du type « On s’est trompé : en fait tout va bien » ou « C’était une blague, on vous a bien eus ». Mais rien. Juste l’attente.

Depuis, je m’y suis fait et je dors mieux. La journée, j’ai appris à regarder droit devant moi, à rester immobile et à compter les secondes qui passent, sagement assis sur ma chaise. Je quitte le bureau plus tôt et je termine souvent la journée avec quelques compagnons de naufrage, autour d’une bière. Il y a même un risque que je me remette à fumer. C’est fatigant. J’en parlais hier avec un collègue : « ça devient long, Bob. » « Tu trouves ça long ? Tu sais que, dans les salles de marché, il y a des gens qui ne font plus rien depuis un an ? Qui quittent le bureau en pleurant le soir ? On ne peut plus rien pour eux. Ils sont à plat et je ne vois pas comment on pourrait les regonfler. »

Automne 2008 : les feuilles mortes se ramassent à la pelle. Les banquiers à la petite cuillère.

J’imagine bien : ils ont contribué à construire un système qui reposait sur du vent et qui s’est effondré comme un château de cartes. Il faut voir leurs tronches dans les couloirs, à tous ces loups de la haute finance qui, il y a quelques mois encore, avaient le monde à leurs pieds. Jusqu’alors, ils baignaient dans l’auto-conviction d’être les rois du monde. Montres à 2000 euros, pompes à 800 dollars, remboursées sous forme de frais de représentation, véhicule tout terrain allemand au nom de la société.

Eux, c’était les stock options, un salaire mensuel supérieur à mon salaire annuel, un bonus de fin d’année qui aurait pu éponger en un jour le crédit que je rembourse en 25 ans pour ma maison. C’était la stratégie d’investissement, la titrisation, l’ingénierie financière, les fusions et acquisitions, la gestion des risques, l’innovation, l’animation commerciale. Et puis, en trois coups de cuillère à pot, ils ne sont plus rien. Le retour de balancier doit faire extrêmement mal quand on était persuadé d’être le maître du monde. En quelques jours, ils ont réalisé que leur beau parcours professionnel, c’était de la merde, du vent, rien, nada, niente, niks, nothing. Ça doit faire mal. Ils ont exercé pendant 10, 15, 25 ans un métier qui n’existe plus. Pire : qui n’a jamais existé, parce qu’ils ne brassaient que du vent. Tout ce en quoi ils croyaient n’avait en fait aucun sens. Brûlez les bibles de la finance.

« Lundi noir : Dieu est mort »

Au siège d’une banque, traditionnellement, le jeune cadre dynamique qui carbure aux stock options, à l'Euribor et à Bloomberg TV me toise. Il me regarde de haut, parce que je ne suis pas comme lui. Je ne gagne pas assez, je n’ai même pas de boutons de manchette en argent, je n’ai jamais vu Tokyo, les sièges de ma voiture ne sont pas en cuir, mes pompes ne sont pas assez luisantes, je ne travaille pas assez tard au bureau, je ne mange pas dans les bons restaurants, j’ignore qui sont Paul Smith et Warren Buffet et je n’ai pas le vocabulaire de l’initié. Traditionnellement, il m’ignore parce que je ne suis pas assez bien pour lui. Dans son monde, je ne suis qu’un figurant. Pire, un élément du décor.

Depuis quelques semaines, c’est inquiétant de voir le même personnage, la cravate de travers, les cheveux hirsutes, le menton mal rasé, le regard vide et la patte qui traîne un lacet dénoué. Il mange son sandwich au jambon et claudique dans les couloirs à la recherche de celui qui pourra le rassurer. Il prend 15% dans les gencives chaque jour. Son portefeuille d’actions, c’était toute sa vie. Et toute sa vie vient de voir sa valeur boursière divisée par quatre. Avant, il m’ignorait par mépris. Aujourd’hui, c’est la honte qui se lit dans ce regard qui m’évite. Il s’est ruiné, il a ruiné ses clients, il a ruiné le système.

J’ai de la peine pour lui parce que je me sens responsable. A ma façon, j’ai accepté ce système : qui lui a dit que ce qu’il faisait, c’était de la merde ? Qui lui a dit que ce qu’il vendait à ses clients, c’était de la merde ? Qui lui a dit que sa vie, c’était de la merde ? Pas moi, je l’avoue.

Aujourd’hui, les « senior executives » tombent comme des mouches. « M. Untel est absent pour raisons de santé pour une durée indéterminée. » « Mme Unetelle est tombée dans les pommes et a dû être conduite aux urgences. » « On n’a plus aucune nouvelle de M. Lechef depuis bientôt une semaine. » Le choc a dû être énorme, insurmontable. La fin de la pensée unique, c’est comme avoir été élevé dans le noir pendant trente ans et découvrir la lumière d’un soleil d’automne. C’est comme ces jeunes filles qui ont grandi dans des sectes polygames, coupées du monde, et qui restent bouche bée le jour de leur libération, en voyant leur premier poste de télévision.

« Lundi noir : Dieu est mort »

Quand la crise sera terminée, il paraît que tout ira mieux, qu’on vivra dans un monde plus sain où le réel aura repris le dessus sur le virtuel. En ce qui me concerne, ça ne changera pas grand-chose : pas d’argent, pas de perte. Pour les durs à cuire de la finance, ce sera sans doute plus compliqué.

Mais il paraît qu’on apprend toujours de ses échecs. Tirons-en la première leçon : la différence entre « volatile » et « volatil ». Le premier adjectif qualifie tout ce « qui peut voler, qui a des ailes. » Le second se rapporte en économie à ce « qui paraît surévalué, qui présente une certaine volatilité. »

Appliquons cette règle au monsieur qui m’évite dans l’ascenseur :

Jean a investi tout son pognon sur des marchés volatils.
Jean est un pigeon.
Jean est un volatile.

Texte: AL
Dessin : mabi

Les liens:

Le site de mabi
The Fruit Of Hypocrisy : Joseph Stiglitz offre la meilleure analyse de la crise financière dans les colonnes du Guardian
Bienvenue à bord du Titanic financier : la crise vue par Daniel Mermet

A regarder : Bashung à NPA en 95



dimanche 2 novembre 2008

Woven Hand - Ten Stones

J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne, c’est que David Eugene Edwards est de retour. La mauvaise, c’est que j’ai beau l’écouter dans tous les sens du poil, Woven Hand n’atteindra jamais le niveau de Sixteen Horsepower.

Moins tendu, moins sanguin, moins viscéral.

Il faut que je m’y fasse : Sixteen Horsepower est mort et enterré.


Petite leçon de psycho de cuisine

Référons-nous à la courbe du deuil de Kübler-Ross pour comprendre mon état actuel. Que nous apprend ce modèle ? Que face à la perte d’un être cher, nous passons par plusieurs stades (la fameuse « vallée des larmes ») avant de pouvoir enfin faire notre deuil et repartir de l’avant. Ces cinq phases sont le déni, la colère, le marchandage, la dépression et l’acceptation.

Le déni : « Non, Sixteen Horsepower n’est pas mort. D’ailleurs, ils continuent, mais ils ont juste changé de nom. Maintenant ils s’appellent Woven Hand. »

La colère : « Si tu dis encore une fois que Sixteen Horsepower est mort, j'te bute. Et j'te bute jusqu’à la mort. »

Le marchandage : « Je vais aller voir Woven Hand en concert, je vais me mettre au premier rang et, entre chaque titre, je vais réclamer American Wheeze ou Haw. Horse Head ou I Seen What I Saw. Burning Bush ou Poormouth, etc. »

La dépression : « Bouhouhou. Je viens de claquer 50 euros pour un festival à la con, à 150 bornes d’ici, pour voir Woven Hand qui n’a même pas joué une seule chanson du répertoire de Sixteen Horsepower. Je ne suis qu’un bon à rien. »

L’acceptation : « Bon, tant pis. Je vais écouter le dernier Woven Hand à mon aise, sans a priori. Advienne que pourra. Et si je n’aime pas, ce n’est pas grave, j’écouterai autre chose. »

Voilà l’état dans lequel je me trouve à l’instant précis. En écrivant ces quelques lignes, je suis juste en train de basculer dans l’acceptation. Ce fut difficile, ce fut long mais j’y arrive tout doucement. Ce Ten Stones, je l’aime forcément beaucoup moins que tout ce qu’a pu faire Sixteen Horsepower. Peut-être parce que j’y cherche des choses que je ne suis pas censé y trouver.

D’ailleurs, ce qui est étonnant, c’est qu’en arrêtant de chercher ce petit détail auquel je voulais tant me raccrocher, d’autres petites choses tout à fait plaisantes se sont enfin dévoilées : une reprise d’un standard de la bossa nova avec Quiet Nights Of Quiet Stars, des guitares venues d’une autre galaxie sur His Loyal Love.

Mais sur la longueur, j’accroche un peu moins. C’est un peu trop posé à mon goût. On dirait même par moments que David Eugene Edwards aurait enfin trouvé la paix intérieure. Or, c’est justement lorsque celui-ci se montre sous son jour le plus torturé qu’il m’impressionne. Même sur Mosaic, l’album précédent de Woven Hand, j’avais frissonné plus d’une fois. Le problème, c’est que sur Ten Stones, il ne m’effraie plus.

Je continuerai donc à écouter Sixteen Horsepower avec la même passion fanatique. Les disques de Woven Hand, eux, je les écouterai plus épisodiquement, juste par plaisir. "Seulement" par plaisir.

PS : J'espère que mon amie Polly ne m'en tiendra pas rigueur. Les opinions, c'est fait pour ne pas être d'accord, n'est-ce pas ? Allez-y ! Crucifiez-moi de vos arguments cinglants !

PSS : Désolé pour le ton "donneur de leçons" du cours de psycho de crise. Mais c'est frustrant de se tenir prêt pendant des années à faire de la gestion de crise et de constater, quand la crise est là et bien là, que tout cela ne sert à rien de rien.


A regarder : The Beautiful Axe (en live)




Les liens

http://www.wovenhand.com/

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