mardi 20 décembre 2016

Ces 16 disques que j'ai usés en 2016



Ayant abandonné depuis bien longtemps la prétention d'écouter toutes les hypes du moment, je résume mon année musicale 2016 avec quelques bonnes pioches glanées çà et là, souvent au cours d'une discussion accoudé au zinc. Pourtant, si j'en crois mes playlists, j'ai surtout réécouté de vieux machins cette année, voire quelques rééditions: Bowie, Television, This Heat, les 3 premiers Helmet, The Jesus Lizard, Johnny Cash et même une replongée étrangement savoureuse dans les albums "LA Woman" et "The Soft Parade" des Doors, qui prenaient la poussière depuis presque 20 ans.

Radar Men From The Moon - Subversive II: Splendor of the Wicked

Les Hollandais de RMFTM commencent mine de rien à se bâtir une sacrée discographie, avec déjà 5 albums en 5 ans et un split avec White Hills. Sur cette dernière livraison, ils poursuivent le travail de dépoussiérage d'un kraut-rock noisy et remuant, déjà entamé par leurs lointains cousins chiliens de Föllakzoid. Au programme: basses entêtantes qui se mordent la queue, guitares fracassées aussi subtiles que des enclumes et overdoses de nappes de synthé. La recette parfaite d'un rock instrumental qui se danse le regard vide.



Cobalt - Slow Forever

En studio, Cobalt est aujourd'hui sans conteste le meilleur groupe de métal du monde. Les deux albums précédents ("Eater of the Birds" en 2007 et surtout "Gin" en 2009) avaient déjà annoncé la couleur d'une musique profondément dérangée, hurlante et brutale. Cependant, le duo parvenait en même temps à rameuter un public plus large (façon de parler) en faisant preuve d'un sens mélodique qui avait tout pour plaire aux fans de shoegaze. Longtemps, la noirceur de la musique de Cobalt a été attribuée au fait que Phil McSorley, la moitié du groupe, enregistrait ses parties entre deux missions militaires en Irak. Viré entretemps pour des propos pas très sympas envers la communauté gay, McSorley n'a rien enlevé de la sauvagerie de Cobalt en prenant la porte. La moitié restante (Erik Wunder) assure désormais le service pour TOUS les instruments (oui: TOUS) et délègue uniquement les parties vocales à l'ancien hurleur de Lord Mantis, un vrai poète. Histoire de montrer que la nouvelle formation tient la longueur, ce quatrième album ne fait pas de détail et se décline en deux parpaings qui totalisent 84 minutes de passage à tabac. Black metal, death, stoner, psyche... tout y passe et rien n'y résiste. Jadis pratiquement inexistant sur scène, Cobalt profite de la sortie de ce "Slow Forever" pour se lancer dans une tournée (qui passera l'année prochaine par le Roadburn). Initiative plutôt casse-gueule, qui risque de sérieusement écorner le mythe. Mais en studio en tout cas, ils ont mis tout le monde d'accord.



Big Business - Command Your Weather

Encore un duo qui fait plus de bruit que toutes les cliques à rallonges de métalleux chevelus. Chaque nouvel album de Big Business est une fête en soi. Après avoir assuré l'intérim comme section rythmique des Melvins, le groupe emmené par le son de basse inimitable de Jared Warren décrasse toutes les idées reçues sur cet objet pourtant dangereux qu'est le stoner "avec des refrains qui se chantent". Pas la peine de se cacher derrière des hurlements gutturaux: Big Business compose des chansons, des vraies, et prend le risque de les chanter haut et fort. Son extraterrestre, rythmiques empruntées au hardcore, 36e degré à tous les étages (non seulement ils osent la pochette borderline, mais renchérissent avec un titre aussi potache que "Diagnostic Front"). Y'a pas à dire: c'est quand même Big Business qui a ressuscité les Melvins.



David Bowie - Blackstar

On a l'impression que tout a été écrit sur Bowie. Et pourtant non. Testament musical, auto-hommage posthume écrit de son vivant, ultime pièce d'un puzzle interminable... Blackstar est avant tout un grand album de Bowie. Rarement un artiste aura fait le bilan de sa carrière avec autant de lucidité. Les deux singles ("Blackstar" et "Lazarus") ont éclipsé - à juste titre - le reste d'un disque parfois inégal. Mais putain, quels singles ! Et ce serait manquer de respect à "Dollar Days", une ballade qui aurait tout à fait tenu sa place sur "Hunky Dory". Je n'arrive toujours pas à croire qu'il soit mort. Faudra m'y faire un jour...



Iggy Pop - Post Pop Depression

Quelques semaines après le décès de Bowie, Iggy est venu nous mettre du baume au coeur avec "Gardenia", un nouveau single qui sentait bon l'époque où il fricotait justement avec le Thin White Duke. L'album n'a pas déçu les espoirs, même s'il s'avère finalement plus sage que prévu. D'aucuns auraient préféré un retour de l'iguane déchaîné de sa période Stooges. C'est oublier bien vite que ses dernières tentatives de réanimation de l'époque du Raw Power n'avaient pas été à la hauteur. Du coup, Iggy nous ressort son côté crooner froid, façon "Lust For Life" et "Passenger". Pas la peine de faire semblant que l'approche des 70 piges n'a aucun effet sur le coco. Et au final, ce rôle lui sied à merveille. Dans un registre plutôt pop-rock, il nous refait le coup de "The Idiot", à 40 ans d'intervalle et pond un nouvel album qui sonne mieux qu'un best of. Vu l'hécatombe, on lui enverra quand même des vitamines en 2017.



Moaning Cities - D. Klein

Je me suis déjà abondamment épanché sur l'immense bien que je pense de ce nouvel album de Moaning Cities. Les saisons passant, mon enthousiasme ne s'est pas rafraîchi d'un seul degré. Le coup de coeur de l'année, sans l'ombre d'un doute.



Gnod - Mirror

Si Cobalt est le meilleur groupe de métal du monde, Gnod est peut-être le meilleur groupe du monde tout court. Depuis 10 ans, le collectif de Manchester livre des albums par camions entiers et alimente une discographie qui flingue dans tous les sens (environ 35 sorties recensées sur Discogs, et au moins autant de side projects). En 2016, ils ont donc publié ce "Mirror" - ainsi qu'un split avec Surgeon - qui, une fois n'est pas coutume, déjoue tous les pronostics. Pour ce millésime, la bande de joyeux drilles a laissé de côté les expérimentations free jazz du dernier (triple!) album "Infinity Machines" pour revenir à un format plus serré: quatre titres solidement tassés qui labourent sur des terres empruntées au doom, à la noise et au dub. Le résultat est délicieusement cradingue. Toujours dans l'excès, Gnod fêtera l'an prochain ses 10 ans d'existence en se produisant au Roadburn à quatre reprises sur un weekend. En quatre concerts, ils n'auront pas le temps de parcourir la moitié du tiers de leurs identités sonores.




Fatima Al Qadiri - Brute

Je suis une brêle en musiques électroniques. Non pas que ça me dérange, que du contraire. J'en écoute pas mal en réalité et le Bandcamp du label Opal Tapes tourne souvent en mode aléatoire pendant mes journées de travail. Mais je suis incapable de différencier deux sons, deux sous-genres ou encore même deux artistes différents. Pourtant, de temps à autre, je reste accroché sur un truc écouté au hasard et qui ne me quitte plus. C'est ce qui m'est arrivé avec Fatima Al Qadiri, qui balance ses skuds en direct depuis le Koweit (pouah, le jeu de mots pourri à deux dinars). Sa musique à la fois frontale et sophistiquée m'évoque par moments le "Foley Room" d'Amon Tobin, l'héritage brésilien ayant ici laissé la place à des sonorités orientales. Je me plante peut-être, mais dans la catégorie très large des trucs ambient/electro/techno qui me sont passés récemment entre les oreilles, j'ai l'impression qu'il est souvent question de meufs (Xosar, Patricia, Amélie Lens, ou même Noveller dans un registre plus instrumental).



Nick Millevoi - Desertion

J'ai vraiment un faible pour ces musiciens qui parviennent à insuffler à leur rock cette petite touche roots américaine qui rappelle le blues des champs de coton, la country qui chique du tabac, le gospel suant ou les partouzes de hippies lécheurs de timbres. Je peux difficilement décoller mes oreilles des premiers disques de Six Organs of Admittance, de Horseback, du Steve Gunn des débuts ou du tournant plus rock entrepris depuis trois albums par Wovenhand. Nick Millevoi s'inscrit pleinement dans cette mouvance. Comme le mec vient de Philadelphie, c'est forcément la soul qui déteint sur ses riffs de guitare qui se lancent dans de longs dialogues avec un orgue Hammond. Par moments, sa musique sort de la marge et lorgne carrément du côté du free jazz ou vire sa cuti pour plonger dans une vieille ambiance de western. Découvert sur une suggestion d'un pote. Accroché immédiatement.



Baby Fire - Gold

Ma dernière chronique en date encensait ce troisième album de Baby Fire, plus sombre, plus lourd, plus nuancé aussi que ses prédécesseurs. J'avais omis de préciser que la production de ce nouveau disque avait été confiée à Pierre Vervloesem (derrière le premier dEUS), autre signe indéniable de l'ascension du groupe. A écouter le coeur bien accroché quand même.




Oranssi Pazuzu - Varahtelija

Adeptes des titres imprononçables, ces Finlandais confrontent un héritage black metal érigé en patrimoine national avec des influences empruntées au kraut rock, au prog et à l'ambient. Assez radicaux dans leur approche, les mecs peuvent toutefois se vanter d'avoir construit un son bien à eux, identifiable entre mille. Cet album complètement maboule ose tirer des morceaux bien au delà des minutes réglementaires en les inondant de synthés criards. 99,99% des gens qui seront passés par là auront légitimement détesté. Moi, je l'écoute au casque pour faire passer mes insomnies.



Tomaga - The Shape of the Dance

Lorsqu'ils n'assurent pas la section rythmique de The Oscillation, Valentina Magaletti et Tom Relleen laissent libre cours à leur imagination en sortant des disques plus expérimentaux sous le nom de Tomaga. Dans une démarche comparable à celle de Gnod, mais avec une approche un poil plus intello, ce troisième album poursuit le travail de dissection des rythmes entamé en 2014 avec "Futura Grotesk". Assez rude et bruitiste, le disque évoque tantôt la musique électronique, tantôt le free jazz, voire la musique concrète. Il n'annihile pas toute recherche mélodique pour autant, mais il faudra se montrer patient et multiplier les écoutes pour transpercer petit à petit cette forteresse imprenable. Assez déroutant, ce disque constituerait la bande-son parfaite pour illustrer une année 2016, au cours de laquelle on a bien senti que quelque chose se tramait sans vraiment comprendre quoi.



Parlour - Parlour

Autre objet indéfinissable, ce nouvel album de Parlour pourrait aisément constituer le chaînon manquant entre Nick Millevoi et Tomaga. Au menu: 9 plages instrumentales qui mettent LE riff de guitare - précis, rigoureux, tendu - en avant. Trop court et pas assez chiant pour être qualifié de post-rock, le disque évite les classiques mouvements en montée-descente tellement prévisibles d'un genre usé jusqu'à la corde. J'avoue qu'en tant que puriste du son, je fonds pour cette production au milli-poil. Chaque instrument tient sa place et sonne exactement comme il le devrait. Sortir des disques crasseux est une chose, le faire en soignant la prod en est une autre.



Black Mountain - IV

Je n'ai jamais fait partie des aficionados de Black Mountain. Mais il faut bien reconnaître que ce dernier album envoie du bois. A sa sortie, le single "Mothers of the Sun" m'a cloué sur place, car tout y est outrancier: un riff de guitare assassin, un refrain indécent, un clip kitsch au possible. L'ensemble du disque est du même calibre et alterne chansons pop-rock, ballades psyché et sorties de routes stoner. Du coup, sur la route des vacances, il a tourné en boucle en digne successeur de l'indéboulonnable "Thirteen Tales from Urban Bohemia" des Dandy Warhols.




Oathbreaker - Rheia

Peut-être plus sauvage encore que Cobalt, le quatuor gantois a grandi à chacun de ses albums. Initialement présenté comme un side-project d'un membre d'Amenra, le groupe emmené par la furieuse Caro Tanghe au micro n'en finit plus de gravir les échelons, au point de n'avoir plus rien à envier au grand frère. Sur ce troisième disque, le groupe repousse encore plus loin les limites de son cocktail explosif de black metal, de hardcore et d'envolées vocales vertigineuses. Il faut bien le reconnaître: malgré le mal de chien que se donnent les musiciens d'Oathbreaker pour malmener leurs instruments, c'est bien le grand écart vocal permanent de Caro Tanghe qui retient toute l'attention. Elle hurle, elle susurre,  elle éructe, elle déclame, elle gueule à s'en arracher le larynx. A un point tel qu'il est parfois difficile de ne pas se racler la gorge par solidarité.



Swans - The Glowing Man

Présenté comme l'ultime sortie du line-up actuel de Swans, ce triple album est un puits sans fond, ce qui explique sa dernière position dans cette liste. J'ai beau l'écouter dans tous les sens, je n'arrive toujours pas à en maîtriser toutes les limites. Trop dense, trop sophistiqué, trop éclectique, trop méticuleux. Si tel est l'ultime volet du retour de la bande à Michael Gira, on pourra dire en tout cas qu'il n'aura pas bâclé son dernier chapitre. Si tout se passe selon mes plans, j'estime pouvoir en venir à bout en 2043.

samedi 17 décembre 2016

Baby Fire - Gold

Le nouvel album de Baby Fire me pose un sacré problème éthique: comment écrire objectivement sur le disque d'une amie? A fortiori quand il s'agit d'une amie avec qui je travaille actuellement sur un nouveau projet musical? Et quand celle-ci est la soeur du batteur de mon groupe principal? Et quand ma trombine d'attardé, ainsi que celle de ma compagne et de ma gamine apparaissent furtivement dans la dernière vidéo du groupe?



Pour l'écrire simplement: ma chronique de Baby Fire pue autant le conflit d'intérêts qu'un élu MR en mission d'observation au Kazakhstan.

Pourtant, je DOIS l'écrire, cette chronique. Tout simplement parce qu'en trois albums, Baby Fire n'a eu cesse de gravir les échelons. Avec "Gold", le petit dernier, le trio emmené par Diabolita s'installe tranquillement dans la cour des grandes, après un "The Red Robe" qui avait déjà concrétisé bon nombre de promesses.



"Gold", c'est une voix plus affirmée que jamais, des textes écrits à la lame rouillée, des ambiances sonores d'une noirceur aveuglante et un son - mais un son ! - plus épais qu'un annuaire des classiques du doom. Et pourtant... Baby Fire tire toute son originalité de sa capacité à sautiller avec une certaine désinvolture entre ces riffs durs et poisseux. Ainsi, quand le groupe sombre dans la lourdeur assommante d'un "Let It Die", il n'oublie pas pour autant de terminer sur une touche plus délicate.

Le crime serait-il plus jouissif quand la victime a l'impression de reprendre son souffle, le temps d'un bref relâchement de l'étreinte?

Formule éculée? Pas vraiment, car sur "Brussels", c'est l'effet inverse. La voix caverneuse prend possession d'un riff faussement plus léger, avant de s'enfoncer dans un tunnel sans issue qui n'aurait pas pu mieux coller au thème de la chanson.

C'est cependant sur la chanson "Gold" (5e sur la liste) que Baby Fire atteint les sommets du genre. La rengaine, lente et répétitive, s'épaissit à chaque mesure, tandis que la voix majestueuse déclame un texte qui te scie en deux. C'est cette intonation, sur la dernière syllabe du "I've been given a new body", cette seconde moitié de corps, qui envoie le titre dans la stratosphère. Délicate, raffinée, élégante, presque fragile, je n'ai pas de mot assez fort pour décrire comment cette simple syllabe -dy déclenche un frisson à chaque passage. A la première écoute, je n'ai pas pu aller plus loin que ce morceau, car il a tourné en boucle dans ma voiture. Trituré, complexe, plein, c'est une invitation à l'addiction.

Voilà la teneur d'un grand album, franchement. Sincèrement. Au passage, j'épinglerai encore deux titres qui ne quittent plus mes oreilles. D'une part "You, Forever" qui se permet également quelques trouvailles vocales complètement dingues. De l'autre, "The Salamender", autre prouesse peut-être plus accessible aux esprits les moins entraînés. Entretemps, un certain "How do I love Thee?" aura éteint les derniers espoirs de salut. Non, on ne sort pas indemne d'un album de Baby Fire.



L'album est sorti sur Off.
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