dimanche 26 juin 2011

Amon Tobin - Isam

L’an prochain, Amon Tobin fêtera ses quarante balais. Au-delà du fait que ça ne nous rajeunit pas (oh putain…), cette information sans aucun intérêt aurait pu nous faire douter de la capacité du DJ brésilien à continuer à assumer son rôle de précurseur dans le domaine des musiques électroniques.

Débarqué en 96 sur le label Ninja Tune (where else?), voici qu’il nous livre cette année un 8e album qui se présente sous la forme d’un point d’interrogation : après avoir botté nombre de culs sur les dance floors en mélangeant allègrement drum’n’bass, rythmes latinos, hip hop et jazz, serait-il encore en mesure de pondre un album qui serait un peu plus qu’un « simple 8e album d’Amon Tobin » ?

La question était d’autant plus pertinente que son dernier disque, l’incroyable Foley Room sorti en 2007, faisait déjà office de testament sonore. Amon Tobin ne précédait-il pas ses sets de la tournée qui suivit de documentaires (fort peu intéressants) sur les techniques de capture sonore d’… Amon Tobin ? Pourtant, déjà à l’époque, si Foley Room était plus intimiste et absolument indansable, je garde le souvenir d’un concert épique à l’Ancienne Belgique, non pour la prestation elle-même mais bien pour l’installation acoustique qui lui servait d’écrin : le premier concert en 7.1 jamais donné dans le plat pays. Pour le coup, ça partait littéralement dans tous les sens. Le son rebondissait sur les murs de la salle.

Avant de sortir ce nouvel album, Amon Tobin nous avait d’abord servi en guise de mise en bouche un single inédit paru en 2009 : Eight Sum, sorte de rengaine électro-tribale qui aurait pu marquer un retour à des rythmes invitant au déhanché.

A écouter : Eight Sum



Autre apéritif, l’hallucinante vidéo du single Esthers, sortie de nulle part en 2010, ou comment donner un second souffle à un titre sorti il y a quatre ans.

A regarder : Esthers



Pourtant, à sa sortie, Isam, le nouvel album, laisse dubitatif. On sent que l’artiste s’est amusé à le composer. On sent qu’il s’est fait plaisir. On sent l’énorme travail qu’a dû représenter la fabrication de ces douze ovnis sonores. On sent la difficulté de l’exercice. Mais malheureusement, l’écoute se révèle également tout aussi difficile. Très downtempo, façon Scorn. Très déstructuré façon Aphex Twin. Très abstrait façon Autechre. Aucun des morceaux de cet album n’a quoi que ce soit à faire sur un dance floor.  Au mieux, le titre Goto10 recèle un semblant de mélodie dubstep qui pourrait encore réveiller une foule. Mais pour le reste… Amon Tobin s’enfonce encore plus profondément dans une démarche qu’il avait initiée avec Foley Room : composer une musique électronique qui refuse obstinément toute forme d’étiquette. A fortiori celle de musique dansante.

La chronique se serait arrêtée ici si, le 10 juin dernier, Amon Tobin n’avait fait un passage ultra remarqué à l’Ancienne Belgique. En fans suspicieux mais inconditionnels, nous nous ruons sur les tickets comme des Tunisiens sur l’illusion démocratique. Et là, c’est la claque monumentale. Certes, si tu t’attendais à danser toute la nuit, le set live d’Amon Tobin recèle aussi peu d’intérêt que l’album. Mais côté visuel, Jésus, Marie, Joseph…

L’effort est monstrueux et impossible à décrire avec des mots. En s’y risquant tout de même, on pourrait résumer en disant qu’Amon Tobin joue cloîtré dans un cube, lui même perdu au milieu d’une construction géométrique faite d’autres cubes blancs, tous alignés et orientés à 45° par rapport à la scène. Sur cette structure, plusieurs machines projettent l’image de… la structure elle-même. Et, au rythme de la musique, cette image bouge, fond, mute, s’écroule, se reconstruit, se transforme, évolue, avance, recule, gonfle, se liquéfie, part en fumée, etc.

Bref, pour faire simple : Amon Tobin joue dans une structure rigide, mais en mouvement. L’illusion est parfaite, les réglages s’opèrent au millimètre et relèvent de la haute voltige. Pour la première fois de ma vie, j’ai VU LA MUSIQUE (et pourtant je n’avais rien avalé d’illégal). D’autres musiciens électroniques se sont souvent efforcés de s’accompagner de projections visuelles pour densifier leurs prestations. Mais jamais la musique et l’image n’avaient fait corps à ce point. Au mieux, j’avais déjà pris des claques à des concerts de Chris Cunningham. Etienne De Crécy avait déjà exploité l’idée des cubes en trois dimensions l’année dernière, mais avec beaucoup moins de succès. Ici, c’était tout simplement incroyable.

Conclusion : en sortant du concert, j’ai bien évidemment réécouté attentivement cet album. Et c’est un incontournable. Maintenant que j’ai VU cet album, je l’entends tellement différemment. Ce constat est d’une terrible cruauté : Isam est l’album le plus élitiste que j’ai jamais entendu, tout simplement parce qu’il s’adresse à une poignée d’élus, ceux qui ont eu la chance d’assister à un concert de cette tournée. Cet album, c’est un souvenir du concert, comme une photo de classe qui nous rappelle la belle époque ou une bouteille de gnôle qu’on ramène de vacances pour en conserver l’arrière-goût. L’écouter, c’est se repasser des tas d’images. Et donc par extension, j’en suis navré, Isam restera un objet inclassable, difficile à appréhender et d’une complexité inutile pour la plupart des paires d’oreilles qui peuplent cette planète.

A regarder : un documentaire (court) sur le premier concert de la tournée Isam Live.



A regarder : un documentaire (un poil plus long) sur les coulisses de la tournée Isam Live.



Les liens :

mercredi 1 juin 2011

Aucan - Black Rainbow


Difficile de passer à côté du phénomène Aucan. Hystérie passagère ou réelle valeur sûre ? A chacun de se faire son opinion. Il faudrait en tout cas faire preuve d’une sacrée mauvaise foi pour ne pas saluer le parcours atypique de ces trois Italiens.

Récapitulons. Un premier album éponyme sorti en 2009 et unanimement salué comme une version moins chiante de Battles. Les mots « version moins chiante » n’engagent que moi, mais la comparaison est là : instrumentaux au beat froid et mécanique, murs de guitares et légères touches de synthé. L’année dernière, Aucan ouvre une première brèche avec l’EP DNA (dont un morceau figure d'ailleurs sur ma vénérable compilation 2010). Le disque s’ouvre certes sur un riff de guitare agressif au possible, mais c’est pour mieux s’écarter du carcan et dévier rapidement vers des arrangements electro dansants.

Surprise du chef : le trio de Brescia s’y essaie même au chant (certains diront aux chœurs) avec un succès plus que relatif. L’EP s’avère toutefois d’une redoutable efficacité, synthèse dense et compacte de deux mondes finalement pas si éloignés : le math-rock et l’electro.

Avec Black Rainbow, Aucan devait confirmer cette belle impression et montrer que l’exercice de style pouvait également tenir la longueur sur tout un album. Deux options semblaient envisageables : continuer sur la voie d’un style hybride prometteur mais hasardeux ou revenir à des compositions plus classiques. Et c’est là qu’Aucan marque des points en prenant le monde à contre-pied : sur Black Rainbow, bien malin qui pourra encore déceler le moindre son de guitare. Ce sont désormais les machines qui prennent le relais pour une aventure electro-pop qui ne renie aucune de ses influences : rock, dubstep et même hip hop.

Les friands d’étiquettes en prendront pour leur grade : Aucan devient l’incarnation même du groupe inclassable. Celui qui, sur scène, pourrait se contenter de lire ses emails tranquillement retranché derrière ses laptops. Ou qui, au contraire, pourrait enflammer la foule en bondissant d’un instrument à l’autre. Je n’ai jamais eu la chance de les voir, mais il paraît que c’est plutôt cette deuxième option qui a été retenue. Pour poursuivre quand même dans la tradition rock, il paraît aussi que ça joue très fort.

Ce deuxième album d’Aucan, assez difficile à appréhender, est en tout cas à mettre au rayon des toutes bonnes sorties de cette année. La plage d’ouverture est catastrophique, mais le reste est d’excellente tenue. Retenons par exemple Red Minoga (comme si Amon Tobin se mettait tout à coup au rock progressif) et les bouillants Sound Pressure Level et Away! qui rappellent par moments certaines touches des Beastie Boys.

A regarder : Heartless (official video)



A regarder : Away! + Sound Level Pressure (live @ Le Klub à Paris)



Les liens :
Aucan sur MySpace
(l'album est en écoute libre)
Commander l'album sur AfricanTape