mardi 16 août 2016

Une version large de la vidéo de "Lazarus" dévoile un Bowie plus visionnaire que jamais

Il y a quelques mois, j’ai écrit un long papier dans lequel je livrais mon interprétation personnelle d’une série d’indices que Bowie avait disséminés dans la vidéo de Lazarus. Ceux-ci donnaient quelques clés pour comprendre le sens profond des dernières apparitions de l’artiste.

Un nouveau « détail » vient désormais s’ajouter à la longue liste de ces petits messages laissés çà et là par Bowie dans ce qu’il savait être ses derniers moments. Le 17 janvier dernier, soit 6 jours après le décès du Thin White Duke, le très sérieux site d’informations David Bowie News annonçait la mise en ligne d’une version « widescreen » de la vidéo de Lazarus sur la page du réalisateur Johan Renck, sans aucune autre précision.

La vidéo officielle de Lazarus présente en effet un étrange format au ratio 1:1, un format carré donc. En soi, ce n’est pas dérangeant et on pourrait y voir un clin d’œil du réalisateur au format d’image qui fait fureur sur Instagram, un média que Bowie n’a officiellement jamais utilisé. Pourtant, ce format carré présente un certain inconfort pour le spectateur : certains plans sont vraiment très serrés, voire trop, au point de couper une partie de l’image. Parti pris artistique ? On aurait pu le croire, mais l’effet n’est pas toujours réussi. C'est le cas par exemple du plan ci-dessous, assez maladroitement décentré.



La version « widescreen », c’est à dire au ratio d’image 16:9, aurait dû répondre à cette question. Souci : quelques heures à peine après sa parution, celle-ci est supprimée par l’auteur et disparaît du web. Pourquoi ? Nul ne le sait.

La magie d’internet, c’est que rien ne disparaît jamais définitivement. Le site David Bowie News a remis la main sur la version large et vient de la republier... avant qu'elle ne disparaisse à nouveau. Mais pas assez rapidement pour qu'on ne puisse l'analyser en profondeur.

Premier enseignement : la version 16:9 est bel et bien l’originale. La version carrée, officielle donc, présente une image qui a été rognée sur les bords. Le travail de découpage a dès lors donné lieu à des plans tronqués comme celui que nous venons de voir. L’orignal présente un cadrage bien plus approprié. Ainsi, si on examine la même scène, l'image est beaucoup mieux équilibrée.



Avec un cadrage plus large, d’autres plans se révèlent plus intéressants que la version finalement retenue. J’en prends pour exemple cette vue en plongée de la chambre, à mon avis esthétiquement plus réussie dans un cadrage large que dans sa version carrée. La comparaison des deux versions est sans appel.

(Note: il suffit de cliquer sur les images pour les afficher en plein écran)




Pourquoi dès lors avoir pratiquement saboté la version originale ?

La réponse se trouve dans les éléments qui se retrouvent hors champ après le rognage de l’image de départ. En se concentrant sur les bords de l’image de la version 16:9, on comprend que des éléments visuels disparaissent subtilement du cadre lorsqu’on repasse le tout en format carré : l’un est plus anecdotique, l’autre est une clé essentielle pour comprendre l’histoire qui est racontée dans cette vidéo.

Commençons par l’anecdotique, pour faire durer le suspense. Il s’agit du crâne disposé sur le bureau. Certes, celui-ci apparaît encore subrepticement à l’image dans le format carré, mais sa présence est beaucoup plus marquée dans la version 16:9. Dans un précédent article sur le sujet, j’avais repris une hypothèse déjà largement partagée sur les réseaux sociaux : s’agirait-il du crâne de l’astronaute que l’on avait déjà pu voir dans la vidéo de Blackstar ? Sans l’ombre d’un doute. Cet astronaute est-il le Major Tom de Space Oddity et Ashes To Ashes ? C’est hautement probable. Ce crâne renforce donc la dimension testamentaire de la vidéo de Lazarus.




Le second élément qui disparaît du champ au montage est beaucoup plus interpelant : lorsque le personnage de Bowie au costume rayé s’assoit à son bureau pour écrire dans son carnet, on remarque dans le coin supérieur gauche de l’image que l’autre Bowie en blanc est allongé immobile sur son lit. Voilà qui devient intéressant. Ce plan apparaît à deux reprises : à 2’41 et à 3’02. A chaque fois, le Bowie dans le lit est immobile. Comme mort. Dans la version officielle, le cadrage empêche de voir ce "détail".






La présence de deux Bowie sur le même plan est tout sauf un détail. Elle permet de mieux comprendre la séquence narrative de cette vidéo.

On peut donc en déduire avec certitude que le Bowie en noir et blanc incarne une présence posthume, voire l’âme-même de l’artiste. Son corps inerte laissé à l’arrière plan, celui-ci rédige frénétiquement son ultime message, avant de partir à reculons.

Le pouvoir testamentaire de Lazarus, déjà largement commenté, prend donc ici une dimension supplémentaire. Au moment de tourner cette vidéo, Bowie est conscient qu’il s’agira de sa dernière apparition à l’écran. Non seulement son décès imminent ne fait plus aucun doute, mais il décide de carrément filmer la scène telle qu’il aurait voulu que le monde la voie. Il filme donc son dernier souffle et se veut rassurant à l’égard de son public : même éteint, il est toujours là. Vieilli, affaibli, il endosse quand même le costume qu’il portait lors des sessions photographiques avec Steve Schapiro en 1974, à l’époque où il s’interrogeait sur le sens de la vie, en pleine période Station To Station. Désormais serein, il termine ce dernier chapitre avant de s’éclipser.



C’est d’une beauté telle qu’il est difficile de ne pas s’en émouvoir. Comment, alors que l’on sait maintenant que l’homme était au bout de ses forces, a-t-il trouvé la présence d’esprit nécessaire pour livrer un ultime fait d’arme d’une intelligence aussi fine ? Seul Bowie est capable d’un tel génie.

Au vu de ces éléments, il est indéniable que le recadrage au format 1:1 avait pour unique motivation de dissimuler ce Bowie sans vie sur son lit, qui mène à une lecture plus mystique encore de cette incroyable vidéo qu’est Lazarus.

Evidemment, la grande interrogation demeure : pourquoi avoir changé d’avis ? La vidéo est publiée le 7 janvier, alors que l’artiste décède le 11. La maison de disques a-t-elle préféré jouer la carte de la pudeur ? L’entourage de Bowie était-il déjà trop affecté par son état de santé pour ne pas en remettre une couche avec ce genre de message posthume ? Se rattachaient-ils encore à l’espoir qu’il puisse surmonter la maladie ?

Personne ne le sait. Il faudra peut-être poser un jour la question au réalisateur Johan Renck. La seule certitude que nous avons aujourd’hui, c’est que Bowie avait calculé avec une précision déconcertante sa sortie de scène. C’est bouleversant de clairvoyance.

Enfin, dernier détail qui devrait alimenter les conversations: y a-t-il deux ou trois Bowie dans cette vidéo? Sur certains plans, il semble en effet outrageusement maquillé. Sur d'autres, il est d'un naturel déroutant. Est-ce voulu? Ou ce maquillage est-il simplement la contrepartie d'un état de santé qui se serait considérablement dégradé au moment-même où ces séquences étaient tournées?