mercredi 2 avril 2008

Boris – Smile

Soleil bruyant

Chers amis, j’enfile mes charentaises et mon peignoir usé, je bourre ma pipe et me balance dans le rocking chair. Je me frotte une dernière fois la barbe de deux jours qui me garnit le menton. Voilà. Je suis prêt à vous raconter une anecdote en italique. Comme d’habitude, ceux qui sont garés en double file nous quittent ici. Les autres peuvent prendre place près de l’âtre.

Je me racle la gorge, réajuste mes lunettes de lecture et c’est parti.

Voici quelques années, un collègue de bureau écoutait sur son ordinateur la bande originale de A Life Aquatic, ce disque un peu foufou, pour un film un peu foufou dans lequel Bill Murray chassait la poiscaille. C’est sur cet album que Seu Jorge revisite les grands classiques de Bowie… en portugais. Nous commentions allègrement chaque titre qui était accueilli comme un vent de fraîcheur au milieu d’une journée terne où les cravates étaient usées de devoir se vouvoyer. Puis, au milieu de ces reprises acoustiques surgit la bête sauvage, cyniquement terrée entre deux accords brésiliens : Search And Destroy d’Iggy & The Stooges, tiré de l’album Raw Power. A ce moment précis, mon collègue incrédule resta figé quelques secondes, puis tenta maladroitement de régler le son qui sortait de ses enceintes avant de se résigner : « Ben merde alors, mes baffles viennent de me lâcher… » Ce que le garçon ignorait, c’est que ses enceintes fonctionnaient parfaitement. Il venait simplement de se ramasser en pleines oreilles sa première expérience de Raw Power, album mixé par Bowie lui-même et pour lequel le grand maître se fixa comme règle de ne jamais laisser l’aiguille quitter la zone rouge. Ce qui donne un résultat décoiffant qui peut, en effet, laisser croire au non averti que c’est la membrane de ses baffles qui vient de rendre l’âme.

C’est marrant, en y mettant un point final, j’ai l’impression de vous avoir déjà raconté cette anecdote captivante, que dis-je, extrêmement fascinante.

Pourquoi vous ai-je raconté cette belle histoire ? Parce que si vous n’y prenez pas garde, vous risquez de répéter l’erreur de mon collègue à l’écoute de Smile, le nouvel album de Boris, dont j'ai pu me procurer une copie de l'édition japonaise. Ce disque pourrait expliquer à lui seul pourquoi Kurt Cobain s’est fait exploser les gencives : parce que son statut l’empêchait de faire entrer la musique de Nirvana dans une production aussi étroite. Ce nouvel album de Boris (au moins le treizième si j’en crois la bio) est un sérieux bras d’honneur à toutes les règles de la production musicale. Une colique verte sur les codes du rock’n’roll. Sur les trois premiers titres, le trio japonais survolté s’amuse à faire monter et descendre le volume des instruments, à faire couiner la guitare comme si elle sortait dans une gamelle Fisher Price de deux pouces, à étouffer le son de la basse sous une épaisse couche de saturation, à tout plonger dans le rouge (même la batterie !), à placer des chœurs qui font Woo-Hoo là où s’attendait à un cri de bête affamée, à arrêter la batterie en plein milieu d’une montée infernale…

Et le résultat est vâââchement bien. C’est bruyant, très bourrin, mais c’est renversant de spontanéité. Après le raz-de-marée des trois premiers morceaux, Boris en revient à des compositions plus acceptables pour l’oreille humaine, mais toujours produites avec la délicatesse d’un sumo parkinsonien. C'est une ode au bruit, un éloge du larsen, un viol de vumètre. Et malgré la brutalité de l'approche, Boris parvient à napper le tout d'une couche pop. Que demande le peuple ?

Enfin, si vous écoutez cet album via un lecteur portable, ce n’est pas la peine de balancer votre casque à la poubelle, ni de vous offrir des prothèses auditives. L’effet stéréo se fait parfois la malle en plein milieu d’un morceau. Ça fait aussi partie de l’expérience Boris.

La sortie officielle de l'album est prévue en Europe pour le 21 avril.

Les liens intéressants :

Une bio très complète (en français!) ici.
Le site officiel : http://www.inoxia-rec.com/boris/

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