jeudi 27 octobre 2016

Moaning Cities - D. Klein

Des couplets, des refrains, des mélodies... Mais c'est quoi ce bordel? Des chansons. Et d'un groupe belge. Bref, tout ce que je suis censé détester. Mais alors, comment se fait-il que ce dernier album en date de Moaning Cities ne quitte plus ma platine? On est en 2016, j'ai 37 ans et je suis devenu accro à un groupe qui pond des morceaux de moins de 20 minutes, ne désaccorde pas ses instruments de trois tons et demi et a le culot de sourire sur scène. C'est grave docteur? Tentative de diagnostic.

J'avoue avoir honteusement snobé Moaning Cities jusqu'à l'annonce de la sortie de ce nouvel album. Je plaide coupable: je n'avais que très peu écouté, d'une oreille distante et distraite, quelques morceaux (peut-être deux) des productions précédentes sans y accorder de véritable attention. A posteriori, je vois sans doute deux raisons qui pourraient expliquer ce manque d'intérêt. Primo, la voix m'avait trop vite évoqué Black Angels, un groupe qui m'avait ébloui avec un single remarquable, avant d'aussitôt bousiller tout son crédit avec un concert fumiste au possible quelques mois plus tard. Secundo, comme beaucoup de mes semblables, j'éprouve une méfiance épidermique à l'égard de tous les groupes belges qui réussissent. Toute la vague TheMyLittleVisHollywoodPianoNoize dont le succès se cantonne aux salles subsidiées comprises dans un triangle qui relie Tournai à Liège et Arlon me laisse de marbre. Je sais, je caricature. A peine.

Avais-je raison? Non, trois fois non.

C'est mon pote David Crunelle, décidément dans tous les mauvais coups, qui m'a mis la puce à l'oreille, au moment où il était sollicité par les membres de Moaning Cities pour réaliser l'artwork de ce nouvel album:

"Ce n'est peut-être pas assez sale pour toi, mais c'est tout à fait le genre de musique qu'on pourrait écouter. Et ça ne sonne pas comme un groupe belge." 

Comprendre: ils n'essaient d'imiter ni dEUS, ni Ghinzu. Autrement dit, ça s'apprécie sans devoir les affubler du qualificatif "Belge" qui a en général pour effet de revoir nos critères de jugement à la baisse. C'est assez rare pour être souligné.

Du coup, j'ai réécouté les anciennes sorties de Moaning Cities. J'ai visionné pas mal de vidéos. Je suis allé à la release party au Botanique en septembre et j'ai acheté ce nouvel album. Verdict? Ça claque.

Primo: le registre vocal de Moaning Cities est bien trop riche pour n'être apparenté qu'à un ersatz de Black Angels. On y retrouve forcément quelques touches familières: l'aspect brumeux, accentué par les effets de réverbération, est omniprésent. Pourtant, les voix - souvent multiples - sont capables de réaliser le grand écart entre la rage purement rock'n'roll (le déroutant - et ironiquement nommé - "Expected" en ouverture) et les envolées mélodiques stratosphériques (le final "Daggers"). Au passage, on s'offre une traversée du désert sur le trippant "Yell-Oh-Bahn", angoissant spoken word plaqué sur des airs de sitar et qui méritait bien une batterie aussi martiale pour me ramener les pieds sur terre.  

Secundo: ça sonne d'enfer. Quatre mots, point final. Nul besoin d'ajouter "... pour un groupe belge". Non, ça sonne d'enfer. Tout court. Parce que Moaning Cities a UN son, qui lui est propre, et n'évoque nul autre: du grain, du velouté, de l'organique. On pourra s'essayer aux comparaisons hasardeuses, on trouvera toujours dans ce D. Klein l'élément de contradiction qui fait la singularité de Moaning Cities. Pop? Oui parfois, comme sur "Vertigo Rising", mais avec cette touche de fuzz qui rappelle que même si ce n'est pas le disque le plus sale de ma collection, il n'a rien d'une production aseptisée pour les heures de grande audience. Personnellement, je mettrais juste un petit bémol sur "Solitary Hawk", qui me parle moins parce que je la trouve plus linéaire que les autres compos du disque.



Du coup, avec cet album, j'ai sous l'aiguille un solide disque de rock'n'roll, qui tient tout à fait sa place sur mon étagère entre les vinyles de Wovenhand et ceux de Hills. Restait l'épreuve de la scène pour me convaincre: en une minute dans une Rotonde qui affichait vollenbak, l'affaire était dans le sac (en plus, ça rime). Set d'une efficacité redoutable, son impeccable (hop, encore des rimes), occupation maximale de l'espace, équilibre parfait entre instants de fureur et respirations plus posées. Il y a longtemps que je ne m'étais plus emballé comme ça sur une musique qui finalement, bien que bouillante, reste assez accessible. Et c'est sans doute là le principal enseignement de Moaning Cities: on pourrait être tenté de les railler parce qu'ils offrent des sessions pour Classic 21 ou la SABAM, pas vraiment identifiés comme de hauts lieux du rock alternatif (comprendre : respectable pour les snobinards de mon espèce).

Puis, avant de balancer, on écoute le disque, on en prend plein la tronche sur scène, on jette un oeil au pédigrée live du groupe... et on ferme gentiment sa grande gueule. 

La bande tourne avec Monkey3, côtoie les dieux de Yob à l'affiche du DesertFest, se paie le luxe d'une invitation du très réputé Liverpool International Festival Of Psychedelia et se permet même d'organiser son propre festival psyché à Bruxelles, en conviant des pointures du calibre de Tomaga. Rien que ça. Dix fois moins suffirait à faire taire les plus sceptiques. La bande se construit tranquillement une réputation en acier trempé. Respect.

Avec D. Klein, Moaning Cities s'assure une place de choix aux côtés d'autres électrons libres qui voient le jour dans notre plat pays et cassent la baraque bien au-delà de nos frontières. Je pense particulièrement aux cinglés et inclassables de La Jungle, Raketkanon ou Oathbreaker. Avec néanmoins ce petit plus qui les rend accessibles à un plus grand nombre de paires d'oreilles. D'habitude, j'en faisais un critère d'exclusion. Dans ce cas-ci, ça mérite juste mon plus haut respect.

Plus loin: 
https://www.facebook.com/moaningcities/
https://moaningcities.bandcamp.com/
http://exagrecords.com/shop/ 

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